Sur les terres de Dionysos
Nous terminons cette série commencée en novembre avec une chronique sur la culture du vin dans le nord de la Grèce, en cette période où il redevient possible de prendre un verre en terrasse.
Santé,
et bonne lecture,
de la part de toute l’équipe du Consulat général, de l’Institut français et de l’Ecole française de Thessalonique.
Sandrine MOUCHET
Consule générale, directrice de l’Institut français de Thessalonique
La Grèce a une tradition de viticulture plurimillénaire, largement favorisée par la qualité de son climat et la richesse de son sol. Elle est particulièrement vivace dans notre circonscription du nord du pays, où le vin semble présent depuis la nuit des temps. Près de Kavala, sur le site archéologique de Dikili Tash, l’équipe de chercheurs franco-grecque a trouvé des traces de transformation du jus de raisin en vin datant de 4 300 à 4 200 ans avant Jésus-Christ, a priori le plus ancien témoignage de vinification en Europe¹.Dans la mythologie, Dionysos, dieu de la vigne et du vin, aurait été élevé par les nymphes Hyades sur le mont Nysa, situé dans l’actuelle Thrace.
La tradition s’est perpétuée au fil des siècles, avec des périodes parfois difficiles, en particulier après l’arrivée du phylloxera (dont le premier cas aurait été enregistré en Macédoine, près de Thessalonique, en 1898) et la disparition de certains vignobles historiques.
C’est justement pendant cette période que les viticulteurs du nord de la Grèce développent des liens très étroits avec la France.
Pendant la Première Guerre mondiale, la présence massive de l’armée d’Orient, sous commandement français², dans la région autour de Thessalonique, modifie profondément le monde agricole : pour nourrir ces centaines de milliers d’hommes, on introduit des processus de production novateurs, on importe du matériel perfectionné et de nouvelles espèces. C’est aussi le cas dans le domaine viticole où les Français apportent de nouveaux cépages et préconisent des méthodes scientifiques innovantes. Cette part importante de l’activité agricole dans le quotidien des soldats du front d’Orient, qui génère un essor de l’agriculture locale sans précédent, leur vaudra pourtant le sobriquet méprisant de « Jardiniers de Salonique », de la part de Georges Clemenceau³.
Ainsi, depuis plus d’un siècle, les échanges de connaissances autour de la culture de la vigne n’ont eu de cesse de se développer entre la France et le nord de la Grèce.
De nombreux ampélologues⁴ et œnologues grecs ont étudié en France afin de mieux intégrer le savoir-faire et les subtilités des différents terroirs hexagonaux. Si, au départ, ils ont introduit des cépages français comme le merlot, la syrah ou le cabernet-sauvignon, pour donner un élan à leur production, ils ont petit à petit complété l’offre en revalorisant des cépages locaux comme le xinomavro, un vin rouge du nord du pays, pour répondre à la demande du marché international qui privilégie les cépages endémiques. Ces vins sont aujourd’hui montés en gamme, vivement appréciés des palais grecs et étrangers. « En revenant à des cépages locaux et en atteignant un niveau de qualité suffisant, il est désormais envisageable de satisfaire aussi la demande française, ce qui n’aurait pas été possible en produisant des vins français ici en Grèce », confie l’un des producteurs que nous avons rencontrés.
Sous l’influence notamment de ces spécialistes formés en France, la production vinicole du nord de la Grèce s’est organisée. C’est ici que la première coopérative du pays a été constituée (l’Union des vignerons du vignoble de la Grèce du Nord), en 1996, et que le premier master d’œnologie-ampélologie a été créé, à l’université Aristote de Thessalonique, en 2000.
Il semble aujourd’hui que le vin du nord de la Grèce ait encore de beaux jours devant lui. Il bénéficie de cette longue tradition d’échanges et de transmission du savoir, mais aussi de conditions météorologiques très favorables : le climat est le plus doux et le plus humide des régions viticoles grecques, ce qui permet une maturation optimale du raisin. Un atout non négligeable dans le contexte global de réchauffement climatique, où le manque d’eau menace de nombreux terroirs.
¹ Voir l’article de Soultana Maria Valamoti, archéobotaniste de l’université Aristote à l’origine de cette découverte, et de Nicolas Garnier, responsable du laboratoire d’analyse de matériaux organiques anciens : Prehistoric wine-making at Dikili Tash (Northern Greece) dans The Journal of Archaeological Science
² Voir la Chronique du Jeudi « Thessalonique et l’empreinte française du front d’Orient ».
³ Le président du Conseil (chef du gouvernement de l’époque).
⁴ Spécialistes de la vigne ; du grec ancien ἄμπελος, ámpelos (vigne) et λόγος, lógos (parole, discours, science).
Source des illustrations : greekgastronomyguide | www.tsantali.com