Michel Butor à Thessalonique : inspiration, magie et passion

 

Michel Butor à Thessalonique : inspiration, magie et passion

Michel Butor, poète, romancier, critique d’art et traducteur, vécut à Thessalonique de 1954 à 1956. Il y fut professeur de Philosophie – enseignant à l’École française, que l’on appelait alors le Lycée (en grec Το Λυσέ)–, et lecteur auprès du département de Langue et littérature françaises de l’université Aristote.

Ces deux années de résidence salonicienne furent source d’inspiration pour l’écrivain, qui rédigea ici son deuxième roman, L’Emploi du temps, paru en 1956 et décoré du prix Fénéon en 1957. Ce récit à l’architecture temporelle complexe met en scène un jeune Français, Jacques Revel, qui effectue un stage dans une entreprise d’une ville imaginaire et narre divers événements dans un journal. Dans la première partie, qui se déroule au mois de mai, il décrit ce qui s’est passé au mois d’octobre de l’année écoulée ; dans la seconde, il rapporte les faits du mois de novembre précédent mais aussi ceux du mois en cours – celui de juin – et ainsi de suite. Ellipses et histoire protéiforme Inspiration de Salonique.

C’est également à Thessalonique que Michel Butor entame la rédaction de La Modification, ouvrage majeur du Nouveau roman¹ qui obtient le prix Renaudot en 1957. Il y livre les réflexions et les rêves qui traversent le personnage principal, un certain Léon Delmont, au cours du voyage en train qu’il effectue de Paris à Rome, dans le but de rejoindre sa maîtresse et de lui annoncer qu’il va quitter sa femme et ses enfants pour qu’ils vivent ensemble. Pourtant, au terme du trajet, Delmont renoncera finalement à voir son amante, préférant, à la place, se consacrer à l’écriture, pour consigner le récit de ce qu’il vient de vivre. Récit du changement intérieur et de l’influence des paysages parcourus sur les âmes … Magie de Salonique.

Enfin, Michel Butor écrit ici le texte Salonique, qui paraît dans la Nouvelle Revue Française (NRF) en décembre 1956. Une réflexion sur la ville, plus tard enrichie de commentaires et reprise sous le titre Avant de retourner à Salonique (deux fois) – que l’écrivain dédicace à Jean Roudaut, son successeur au Lycée –, et par la suite intégrée au recueil Le Génie du Lieu, paru en 1958. Michel Butor y regarde la cité comme un voyageur, un passeur du temps. Il longe le quai que borde « une eau peu profonde et rarement tourmentée » et entend, « de l’autre côté de l’eau », « l’immense mélodie du mont Olympe ». Parcourant une histoire sans cesse renouvelée et résonante, Butor observe la modification majeure qu’opère en lui Salonique, telle « une liqueur au goût babylonien ». Fasciné par les multiples strates historiques de la ville mais alarmé par les changements qui la bouleversent, il écrit : « C’est la toute dernière vague de Byzance qui vient y mourir à nos pieds, sous la marée d’une occidentalisation inévitable et désordonnée ». Lyrisme et échos de l’histoire… Passion de Salonique.

Des décennies plus tard, Michel Butor reviendra à Thessalonique en 2001, pour y être nommé docteur honoris causa par le département de Langue et de littérature françaises de la faculté de Philosophie de l’université Aristote.

¹ Mouvement littéraire des années 1960 repoussant les conventions du roman traditionnel, où l’écriture devient un véritable voyage intérieur.

 

Source de l’illustration : Serge Assier

 

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